Ces quatre textes sont nés de la proposition d’un éditeur que j’ai rencontré lors de la sortie en DVD de mon film documentaire « Panseurs de secret ». Il me demanda si j’étais intéressé pour écrire un essai sur le chamanisme ce qui me fit sourire.
En effet, ce programme sur les panseurs de secret est justement l’aboutissement d’une réflexion personnelle sur le chamanisme. Pourtant, le mot n’est cité qu’une fois par un intervenant. Mais c’est bien l’ensemble de nos relations avec le chamanisme qui m’a fait choisir le sujet, en faisant bien entendu attention de ne pas en parler. Car comme nous le verrons, c’est une pratique exotique qui n’aurait aucune existence dans notre société. Ce qui, bien sûr, est inexact.Quelques déboires financiers ont mis un terme à l’activité de cette maison d’édition après l’acceptation des trois quarts du manuscrit. Contre mauvaise fortune bon cœur, j’ai entrepris de retravailler le texte, de le découper en chapitres plus courts afin qu’il soit plus facile à lire sur un écran ou imprimable par vos soins pour une lecture à votre rythme. C’est donc à une ironique synchronicité que je dois de faire à travers ce texte, le chemin inverse du film.
extraits de « Nos racines chamaniques
— Le langage des dieux » —
J’ai été éveillé au chamanisme assez tôt, non par une initiation, mais par le hasard qui m’a placé là. Et de loin en loin, le chamanisme ne m’a jamais vraiment quitté. Je m’en suis donc approché après qu’il m’a adopté. C’est une curieuse relation que je n’ai comprise qu’au cours de discussions. Lorsqu’on parle de tout et de rien comme on le fait généralement en bonne compagnie, ce qui finit toujours par faire émerger quelque chose d’intéressant.
Dans ces moments, j’ai pu saisir que j’entretenais un regard assez différent sur le monde.
Concevoir l’univers par le chamanisme, c’est d’abord traiter de ce qui est proche et direct, du monde réel. Celui qui nous entoure. Voilà une affirmation pourtant très éloignée de l’image qu’il a.
La personne qui vit dans le chamanisme n’a pas besoin d’aller trouver un esprit aux confins de l’univers puisqu’il est contenu dans ce qu’elle touche. Cette personne peut donc accéder à l’univers à travers ce qu’elle a à portée de main. La quête d’éveil de la plupart des Occidentaux se traduit par une recherche spirituelle abstraite et la plupart de leurs guides, lorsqu’ils sont honnêtes, conseillent simplement d’ouvrir les yeux.
Devenu adulte, je m’aperçus que mon esprit ne venait pas du même moule que ceux dont j’étais pourtant proche. Je pense que mon ouverture au chamanisme y est pour beaucoup. Non pas parce que je crois ou que j’ai cru au chamanisme. Mais parce que je l’ai toujours considéré comme une réalité au même titre que ce qu’on m’enseigna de science, de religion, de philosophie et de politique. Je ne peux pas dire que j’adhère à la vision du monde chamanique ni que ma cosmogonie est issue du chamanisme. Je n’ai jamais placé d’un côté la sorcellerie et d’un autre la transmission de pensée, d’un côté le dieu catholique qu’on m’enseignait et de l’autre l’animisme, spiritualité naturelle de mon enfance.
En science, détailler le monde permet d’appréhender la partie que l’on peut comprendre et amène le plus souvent à occulter celle restée incomprise.
La construction d’un esprit façonné par le chamanisme rassemble dans des métaphores ce dont il a besoin pour se représenter le monde, dans le concret et l’abstrait, dans le connu et l’inconnu. C’est très différent.
Pour y accéder, il faut associer des notions totalement étrangères à la formation occidentale de notre esprit : un imaginaire sans limites à une rationalité pétrie de bon sens.
Considérer le monde dans son ensemble ne peut-être une démarche purement intellectuelle. C’est une posture qui amène à mélanger l’imagination à la sensation et associer la contemplation à la logique.
Un esprit d’enfant y parvient en général très bien. C’est par la suite que ça se dégrade avec les rapports coercitifs sociaux, la construction mentale faite de morale et de la logique issues des études scolaires.
Dans une démarche chamanique, la spiritualité conduit la recherche scientifique.
Science et spiritualité sont ici indissociables.
Il s’agit d’une spiritualité qui se concrétise a minima par une intention envoyée à l’univers ou une intuition reçue de l’univers dans le cadre d’une pratique quotidienne. C’est comme nous le verrons, le fonctionnement des « sciences chamaniques » qui a été mis en lumière il y a peu de temps.
Philippe Rouquier