Vitruve vs Lespugue
         La vénus et l’homme

 

 

C’est une des images les plus connues de la planète. Signée Leonard de Vinci, elle symbolise le génie humain à elle seule.

L’homme de Vitruve représente notre fascination pour la technique et la séduction que les canons esthétiques classiques exercent sur notre conception du beau. On l’attribut à Leonard de Vinci qui en fit seulement une déclinaison. L’original est comme son nom l’indique, de Vitruve (Marcus Vitruvius Pollio, env. -80 av. JC, +15 ap. JC) architecte romain qui définit les canons de l’architecture dans un des rares textes sur le sujet qui nous soit parvenu entier.

 

 

Le génie humain s’incarne mieux dans une célébrité que dans un inconnu.

 

Vitruvius pensait que l’harmonie des proportions provenait de la nature, il a donc cherché une géométrie émanant du corps humain…

 

 

 

 

 

 

 

La confrontation

de ces deux œuvres

met en perspective

notre vision du monde.

 

 

C’est une statue qui n’a jamais eu sa place que dans le cœur des archéologues et des artistes.

Le sculpteur de la Vénus n’a pas signé son œuvre. Et jusqu’à aujourd’hui, personne n’a pu lui attribuer de fonction, sinon qu’elle n’était certainement pas décorative.
Découverte en Haute-Garonne en 1922, elle a environ 23 000 ans. Les archéologues ont d’abord attribué ses formes à des canons de beauté de l’époque.

 

Depuis, des thèses plus pertinentes postulent une interprétation des cycles de la vie. Elle était présente dans une exposition au Centre Pompidou en 2019 et ce qui est frappant, c’est la condescendance ironique avec laquelle des journalistes en ont encore parlé. Un ton qu’ils ne se permettraient certainement pas avec des artistes comme Picasso qui a été sidéré par la découverte de cette statue, avec quelques autres artistes de l’époque.

En effet, les proportions de cette statue sont parfaites et le manque d’une symétrie complète peut s’attribuer au fait que la pureté symétrique n’existe pas à l’état naturel. Une approche artistique qui se retrouve dans certains arts traditionnels.

Nous sommes subjugués par une œuvre qui permet de chiffrer un art (la proportion dans l’architecture), une démarche que nous attribuons faussement à un génie incontesté (de Vinci). Sa reproduction de l’œuvre originale profite de sa notoriété…

Vitruve et Léonard de Vinci avaient à leur disposition tous les outils pour calculer et tracer une géométrie parfaite, ce que n’avait pas l’artiste préhistorique. Pourtant, sa composition obéit à des unités très précises qui apparaissent à travers des triangles, mais également des cercles et des rectangles. Il ne peut s’agir d’un hasard.

… mais nous sommes incapables de porter attention à l’œuvre d’un anonyme qui comporte pourtant une puissance esthétique supérieure et une force spirituelle certaine, servies par une technique parfaite dans le souci des proportions justes.

D’un côté, nous avons l’image figurative d’un homme, du calcul, d’une technicité dédiée à notre modernité, le tout porté par l’immense renommée de Léonard de Vinci.

 

De l’autre, nous avons les formes abstraites, donc interprétées, d’une femme aux proportions intérieures exceptionnelles qui représente (peut-être) le cycle immuable de la vie, production d’un artiste inconnu. Le lien qui nous permettrait de comprendre cette statue, crée un manque de sens et la relègue aux artefacts alors qu’elle devrait trôner au centre des œuvres d’art de l’humanité.

Notre regard et notre esprit ont été éduqués pour contempler Léonard de Vinci, mais pas pour prêter plus qu’une attention compassée à la Vénus de Lespugue.

Pour nous, statues, dessins et peintures sont du domaine de l’art ; or la Vénus de Lespugues — comme toutes les représentations de la nature de l’époque — fait partie d’un sacré que nous ne connaissons pas.

Nous admirons l’œuvre, mais nous n’entendons plus le lien spirituel d’une représentation. Voilà une des relations cassées qui nous sépare du chamanisme.

Il ne faut pas désespérer d’un changement qui est peut-être déjà en mouvement. En 2020, les images les plus détaillées jamais enregistrées d’une cellule humaine font apparaître des graphismes millénaires de l’art aborigène australien. Les ressemblances sont confondantes tant par les formes que par les couleurs et les compositions. L’union de nos sciences au chamanisme existe à de nombreux endroits, la fusion est peut-être proche. C’est un des axes que proposent les textes « de l’air, du silence et de l’eau ».